PERWYN
Darry-le-Château – 7e lune de l’An 4ap-C
Ser Gaston désigna du doigt la forteresse qui se dressait devant eux. « Modeste », dit-il d’un ton d’expert.« Pour un bâtiment si ancien je m’attendais… à quelque chose de plus impressionnant. L’enceinte est néanmoins facilement défendable. »
Lorsqu’Edmure lui avait présenté le chevalier errant, Perwyn avait été dubitatif. Ses traits étaient disgracieux et repoussants et s’il s’exprimait correctement, certaines de ses expressions trahissaient ses origines modestes. Ses armes, un simple champ gris, étaient rudimentaires et il restait vague sur les circonstances de son adoubement.
« Vous ne l’engagez pas pour sa ganache ou pour ses quartiers de noblesse » avait dit Edmure. Il n’avait pas tort. Perwyn s’était saigné à blanc pour engager un homme d’expérience, qui avait combattu pour Harren le Noir et Argilac d’Arrogant et avait même louéson épée de l’autre côté du détroit. Avec lui venait quinze dizaines d’hommes, chevaliers errants ou hommes d’armes, qui étaient tous des vétérans. Si cette bande faisait pâle figure à côté des compagnies qui guerroyaient de l’autre côté du détroit, elleétait bien suffisante pour prendre la forteresse de Darry.
Perwyn fut pris d’une petite quinte de toux. Lorsqu’elle prit fin, il tâcha de ne pas regarder son mouchoir imbibé de sang.
« J’espère que vous trouverez un moyen d’abattre ces défenses. Mais si ce n’est pas possible, nous attendrons. Lord Darry finira par se rendre, même si cela doit prendre une année entière. »
Ser Gaston haussa ses larges épaules. « C’est vous qui payez, messire.
-Oui, je paie. Et je peux vous promettre que tous les trésors du monde ne sont rien à côté de mon envie de voir mettre à bas ces bannières laboureur pour les remplacer par celles de la truite. »
L’horrible bouche de l’épée-louée forma ce qui s’apparentait à un sourire, dévoilant de monstrueux chicot. « Tous les trésors du monde ? Ma solde suffira, messire. »
Perwyn sourit puis reporta à nouveau son attention sur Darry-le-Château. Il se prit à rêver aux bannières Mouton volant sur le manoir du laboureur, aux acclamations des habitants, au respect des seigneurs riverains. Il était fier de ce qu’il était en train d’accomplir. Il regrettait que son père ne put être témoin de cet exploit, lui qui avait subit les pires outrages.
Notre honneur sera bientôt restauré, père.
« Messire ! » l’interpella ser Hosteen. « Wendel et ser Stanton ont terminé leur inspection. Ils vous attendent dans votre pavillon. »
Escortés par ser Hosteen, les deux hommes se rendirent sous le pavillon qui avait été installé à quelques pas de là. Perwyn salua son frère et son commandant puis se pencha sur la table où avait été préparé un plan de la forteresse ennemie.
« Que proposez-vous ? » demanda-t-il à ses deux commandants.
« Je ne sais pas ce qu’en pense Wendel, mais je proposerais un assaut », répondit Stanton. « Nous pouvons envoyer quelques hommes dans la forêt avoisinante pour récupérer de quoi confectionner un bélier. Il nous suffira ensuite de briser la porte et nous prendrons le château par la force. »
Ser Gaston éclata de rire. « Votre frère a la fougue de la jeunesse. J’aime ça ! Néanmoins je pense que ce serait suicidaire. »
Stanton fronça les sourcils. « Du suicide ? Nous parlons de Darry-le-Château, pas du Roc.
-J’en conviens messer, mais votre frère n’est pas Aegon et je ne suis pas Balérion
-A voir votre visage, on pourrait en douter. »
Ser Gaston explosa de rire. « Vous me plaisez de plus en plus, messer. Il n’empêche que cette porte me semble solide.
-Lord Darry n’a avec lui qu’une poignée de gardes. Des vieillards et des jouvenceaux pour la plupart.
-Vous seriez étonnés de ce que peuvent faire des vieux et des enfants depuis une barbacane. Nos pertes risquent d’être lourdes et notre victoire loin d’être assurée. Avec cinq centaines d’hommes nous ne pouvons nous le permettre.
-M’est avis que vous craignez plus la perte de votre solde en cas de victoire rapide. »
Le chevalier errant se remit à rire. « Vous n’avez pas votre langue dans votre poche, messer. Oui, j’avoue que chaque jour passé au service de votre frère est un jour où je n’ai pas à chercher un autre employeur. Mais c’est une période faste pour des gens comme moi. Aegon, Mern IX, même le Crapaud Jaune de Dorne cherche des soldats… Simplement je ne veux pas perdre la majorité de mes hommes dans un assaut incertain. »
Perwyn se servit un verre de vin puis se tourna vers Wendel qui n’avait encore rien dit.
« Votre avis ? »
Le franc-coureur hésita. « Ser Stanton parle avec courage, m’sire… Mais pour l’coup ser Gaston est dans le vrai. Si on attaque on r’partira la queue ent’ les jambes. Mieux vaut attendre qu’soient morts de faim. L’sire Darry a fait entrer tous les gars du coin dans l’château et z’ont probablement pas eu l’temps d’faire des provisions. Surtout qu’les dragons avaient pas épargné la région. Boufferont leurs ch’vaux et leurs gamins avant la fin d’la lune. »
Perwyn descendit son verre d’une traite. « Soit. Nous attendrons. Vous pouvez envoyer quelques hommes fourragers les villages des alentours pour faire des provisions, mais veillez à ce qu’ils… ne dépassent pas certaines limites. Il s’agira bientôt de terres Mouton. »
Il allait leur demander de disposer lorsque ser Hosteen entra précipitamment dans le pavillon.
« Messire, messire ! Une armée approche !
-Ser Igon et le reste de l’armée Darry ? » demanda Perwyn.
« Non, messire. Ils arborent la bannière Herpivoie. »
Perwyn faillit s’étrangler avec le reste de son vin.
Quelques heures plus tard, Perwyn et ser Hosteen se trouvaient au pied de la petite colline où lord Symond avait décidé que se tiendrait la rencontre. Perwyn se retourna vers ser Hosteen : « Restez ici, messer.
-Laissez-moi venir avec vous, messire. Il peut s’agir d’un piège.
-Lord Herpivoie a été très clair sur ce point. Je dois venir seul, il en sera de même pour lui ou pour Cox.
-Mais lord Darry…
-Petyr est sorti seul du château. Le sauf-conduit ne valait que pour lui, et vous le savez. Restez ici et n’intervenez pas. » Perwyn hésita une seconde avant d’ajouter. « Restez néanmoins sur vos gardes et tenez-vous prêt à agir si je vous en donnais le signal.
-Bien messire » répondit le chevalier en s’inclinant.
C’est donc seul sur son cheval que Perwyn poursuivit l’ascension de la colline. Une crainte montait en lui à mesure qu’il approchait du sommet. Et si ser Hosteen avait raison ? Et si cette entrevue était un piège ?
Il balaya cette pensée. Il était trop tard pour reculer.Il donna un coup sur ses rênes et atteint bientôt le sommet de la colline.
Il était le dernier arrivé. En face, lord Petyr Darry le fusillait du regard et il semblait sur le point de se jeter sur lui. Entre eux se tenait lord Symond Herpivoie qui arborait pour l’occasion une expression sévère. Il était néanmoins resté en retrait, laissant le soin à ser Lucas Cox de le représenter. Le vieux chevalier semblait gêné par la situation et avait salué Perwyn d’un sourire.
« Messires, nous sommes ici pour mettre fin à cette querelle.
-Querelle ? » explosa Petyr. « Il s’agit d’une attaque injustifiée !
-Pas injustifiée », corrigea Perwyn. « Ces terres ont appartenu à ma famille il y a des siècles.
-Mensonges ! Les Darry règnent ici depuis les Premiers Hommes.
-Et ils juraient fidélité aux Moutons. J’ai un document pour le prouver.
-Vous pouvez parader avec vos parchemins tout votre saoul, Mouton, je me torche avec ! Mes ancêtres n’ont jamais été soumis à Viergétang. Vous vous cachez derrière vos faux pour massacrer mes gens ! Ça a été une boucherie à Brume-Isle !
-Vous parlez de vos hommes comme s’ils sortaient du matristère. C’étaient des guerriers, et ils ont été vaincus loyalement sur le champ de bataille.
-Loyalement ? Parce qu’envahir mes terres alors que la moitié de mes troupes se trouvent dans le sud, que mes quatre fils et mes deux frères se battent pour le roi, c’est loyal ? C’est là l’œuvre d’un pleutre.
-Dit le lâche qui n’a même pas mené ses propres hommes au combat.
-ASSEZ ! » Lord Herpivoie avait du mal à contenir sa colère. « Je n’en peux plus de vos querelles incessantes ! J’ai fermé les yeux bien trop longtemps sur vos chamailleries. J’ai prié l’Aïeule qu’elle vous fasse entendre raison à vous deux, mais c’est allez trop loin.
Vous êtes allé trop loin lord Mouton !
-Messire, c’est mon droit de banneret de régler cette affaire par les armes…
-Non, lord Mouton ! Pas depuis que lord Mallister a décrété la fin des guerres privées. » Lord Herpivoie se massa les tempes. « Mon soutien à Harwyn m’a déjà coûté cher en hommes, en fonds… en influence. Je suis maintenant humilié par mes propres vassaux. Lord Lyonel Mallister n’est pas homme à pardonner la faiblesse. » Il redressa la tête d’un air décidé. « Mais c’est fini ! Cette folie doit cesser lord Mouton. Rappelez vos hommes, mettez fin à ce siège, faîtes la paix… Sinon je n’aurais d’autres choix que d’intervenir moi-même. »
Lord Mouton ressentit un frisson lui parcourir l’échine. Etait-ce le vent froid ou la menace proférée par son suzerain ? Il garda le silence. Un geste de sa part et ser Hosteen accourait avec des renforts. Il pourrait capturer Petyr… et même lord Herpivoie. Ce dernier était venu avec seulement deux cent hommes tout au plus. Il pourrait peut-être l’écraser. Et puis… Il porta sa main à son fourreau.
Et puis quoi ? Il n’était pas garanti qu’il capture lord Darry, encore moins Herpivoie. Il n’était même pas sûr d’en sortir vivant. Quant à cette bataille il n’était pas certain de la gagner, pas plus que celles qui suivraient sans doute. Cox et Herpivoie pouvaient mobiliser des centaines d’hommes, alors qu’il peinait déjà à engager une bande de chevaliers errants. Il deviendrait un paria ruiné, brisé…
Il démonta, puis jeta un dernier regard aux murs de Darry-le-Château. Envolées les bannières à la truite. Celles du laboureur narguaient Perwyn. Le vent se déchainait désormais, mais il résista aux bourrasques et mit un genou à terre. La tête baissée, il repensa à nouveau à son père, et à l’humiliation qu’il avait subie. Il la comprenait désormais. Il la ressentait.