Espagne 1705-1725 : Madrid nid d’espions
Le jeune Carlos III s’emmerdait. C’est sûr qu’au début c’est cool de jouer au roi : il avait eu vite fait de remettre de l’ordre dans les affaires espagnoles : quelques dizaines de milliers de rebelles pendus témoignaient de son souci de l’ordre. Au milieu des rebelles on trouvait les marchands peu motivés qui avaient presque conduit le royaume à la ruine. Carlos III croyait beaucoup à la motivation.
Il avait aussi fait le ménage dans les conseillers du souverain précédent histoire d’être le seul à donner des ordres. Gardant tout de même pour le plaisir Juan-Pietro de Raffarinos qui l’amusait beaucoup avec sa bosse. Il faut bien un bouffon. Mais en lui faisant arracher la langue, il y a des limites à la magnanimité.
Le truc qui clochait c’est que maintenant que tout tournait rond… il s’emmerdait. Il rêvait de faire des grands trucs, ce qui n’est jamais bon signe, du point de vue des sujets. Il astiquait tous les jours lui-même sa couronne impériale, ce qui mettait ses proches franchement mal à l’aise. Plus grave encore : il commençait à parler bizarrement. Ce qui avait attiré à la cour d’Espagne tout un tas de comploteurs étrangers. Tiens d’ailleurs voici qu’arrive l’émissaire italien dans le petit salon privé…
Huberto Bonisseur Dell’Abatte : - Votre Majesté Impériale je vous présente les cordiales salutations de mon seigneur le Roi d’Italie. Voici mes lettre de créances…
Carlos III : - Nous vous souhaitons la bienvenue, amb…
Blas de Lezo (le grand amiral était un de ceux auquel manquait le langage simple de La Grosse Buse, il marqua son étonnement) : - Qui ça « nous » ? Je lui ai déjà dit bonjour tout à l’heure.
Carlos III (se désignant avec son sceptre) : - Bah : Nous. Nous quoi.
Blas de Lezo : - Tous les deux ? Ou bien les mecs qui gardent la porte font partie du « nous » ?
Carlos III : - « Nous », c’est comme ça que Nous disons « Je ».
Blas de Lezo (interloqué) : Hein ? j’ai jamais dit ça moi !
Carlos III : - Non. Nous disons « Nous » parce que Nous sommes l’Empereur.
Blas de Lezo : - Quoi ? Je croyais que c’était juste toi l’Empereur… d’ailleurs c’est une couronne pour un que tu portes. Je me vois pas coller ma tête en-dessous avec toi, on aurait l’air con…
Carlos III : - Blas fait un effort. Je dis « Nous », c’est pas parce que je suis plusieurs, c’est un « Nous » de majesté. C’est comme ça que les rois disent « Je ».
Blas de Lezo : - N’importe quoi ! « Je » ça se dit « Je » en Espagnol. Comment tu dis : « J’ai envie de pisser » en majesté ?
Carlos III : - C’est vulgaire, ça ne se dit pas. D’ailleurs Nous les rois, Nous n’urinons pas.
Blas de Lezo (grommelle) : - Sûr. Moi non plus j’urine pas. J’espère que vous pouvez pisser quand même, vous les rois...
Carlos III (furieux) : - Si je dis : « Ta gueule ou je te fais jeter aux chiens » tu comprends ?
Blas de Lezo (soulagé) : - Bah voilà, ça c’est du bon espagnol.
Carlos III (vexé, vient de se rendre compte qu’il a laissé son « Nous » impérial en route quelque part dans la conversation) : - Bref, bienvenue Ambassadeur. Quoi de neuf ?
Huberto Bonisseur Dell’Abatte : - Et bien Don Jouky s’est retiré après avoir redressé la barre. La famille Del Imrry est remontée sur le trône. Et elle souhaite renouer avec la tradition familiale : complots, trahison, coups de poignards dans le dos et toutes ces sortes de choses.
Carlos III : Mais c’est passionnant tout ça. Enfin un peu de distractions !
Huberto Bonisseur Dell’Abatte : - Justement, mon roi se demandait si une petite guerre ne vous ferait pas plaisir ?
Carlos III (tape dans ses mains d'excitation) : Oh si, oh si. Vous pensiez à quoi exactement ?
Huberto Bonisseur Dell’Abatte : - Et bien d’un côté vous, et de l’autre nous et l’Angleterre.
Carlos III : - Pourquoi à deux ? Et pourquoi me le dites-vous ? Ce n’est plus une trahison !
Huberto Bonisseur Dell’Abatte : - On pensait que la supériorité numérique compenserait l’absence de surprise, dans le côté pas fair-play.
Carlos III : - Mouais. Faut voir. Ils sont d’accords les rosbeefs ?
Huberto Bonisseur Dell’Abatte : - Il suffit de leur demander, Majesté. Leur ambassadeur n’est sûrement pas loin.
Blas de Lezo était parti prendre l’air à la fenêtre, en ouvrant les rideaux il tomba sur le Duc de Marlborough qui lui fit un salut impeccable.
Blas de Lezo : Pas loin en effet… je suppose qu’il est inutile de répéter la question ?
Marlborough (avance vers le roi et le salue à son tour, pas gêné le moins du monde) : - Sire, nous sommes en effet d’accord. Mais il faut bien avouer qu’il s’agit d’un choix par défaut qui ne nous emballe pas plus que ça.
Carlos III : - Franchement ça ne m’emballe pas des masses non plus.
Blas de Lezo : - Et si on s’alliait tous les trois pour taper sur quelqu’un d’autre ? En plus en tirant au sort l’adversaire on retrouverait le goût de la surprise.
Huberto Bonisseur Dell’Abatte : - Super idée, mais on fait comment le tirage au sort ?
Marlborough : - Et si on mettait les noms de tous les autres pays dans un chapeau et qu’on en tire un ?
Carlos III : Non, ça fait trop loterie. C’est vulgaire. J’ai une idée : garde !
Garde 1 : Oui Sire ?
Carlos III : Prenez cette carte du monde et tenez-là contre la porte. Bien, maintenant on va lancer des fléchettes et le pays sur lequel ça tombe on l’envahit.
Blas de Lezo : Pas con. Sauf qu’on n’a pas de fléchettes.
Marlborough : Nos poignards feront l’affaire, tenez Sire prenez le mien : à vous l’honneur.
Carlos III (ferme les yeux au moment de tirer pour laisser le hasard décider) : Alors c’est qui ?
Huberto Bonisseur Dell’Abatte : - Euh, l’Océan Pacifique… ça va pas être facile à envahir.
Carlos III (même jeu) : Et là ?
Garde 1 : - AIE !
Carlos III : - Mais enfin mon petit ! On n’a pas idée d’être aussi maladroit ! Il faut la tendre à bout de bras, voyons. Allez : donnez-la à votre camarade avant de la tacher et rendez-moi ce poignard.
Le garde 1 retire le poignard de son avant-bras en grimaçant de douleur. Le garde 2 prend sa place en se tenant le plus loin possible de la carte.
Carlos III (essuie la lame sur le rideau, ferme les yeux et tire) : - Et là ?
Blas de Lezo : L’Empire Ottoman.
Carlos III (contrarié) : - Zut. C’est mon allié. On ne peut pas faire ça.
Huberto Bonisseur Dell’Abatte : - C’est le hasard ma pauvre Lucette.
Carlos III : - QUOI ?
Huberto Bonisseur Dell’Abatte : - Euh rien, Sire, une expression de part chez moi…
Marlborough : - Je suis sûr que mon roi serait ravi d’entrer en guerre contre le Turc mangeur d’enfants, pilleur d’églises et violeur de poules !
Blas de Lezo : - C’est pas plutôt « voleur » de poules ?
(Marlborough rougit violemment)
Huberto Bonisseur Dell’Abatte : D’un autre côté on aurait à la fois la surprise pour nous et la trahison pour vous. Ce serait délicieusement fourbe.
Carlos III : - J’ai dit non. Je relance.
Le poignard se planta en plein sur Moscou. On y vit un signe du destin. Tout le monde tomba d’accord cette fois en pensant que le Danemark rejoindrait sans aucun doute son allié historique, promettant une jolie empoignade, et les préparatifs commencèrent. Quelques mois plus tard les trois royaumes étaient prêts quand l’inconcevable nouvelle arriva : la Russie, prétextant son droit inaliénable à posséder la Sibérie venait de déclarer la guerre au Danemark !
Carlos III convoqua d’urgence une réunion du CFP (Conseil des Fourbes Perfides) :
Blas de Lezo : - C’est du pipo cette guerre ! Tout le monde le sait !
Huberto Bonisseur Dell’Abatte : - Certes, mais si on y va maintenant ça va faire jazzer. Et je ne peux pas sacquer cette musique d’esclaves.
Marlborough (commence à transpirer et propose plein d’espoir): Ya qu’à revenir au choix A…
Carlos III : - L’Océan Pacifique ?
Blas de Lezo (narquois) : - Côt côt, côt côt…
Tout le monde se marre sauf Marlborough qui rougit. Et vu qu’un Anglais est déjà rouge au départ...

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